Des familles de demandeurs d’asile dorment à nouveau dans les rues de Bruxelles

Il est un peu plus de 20 heures dans un parc bruxellois, des enfants jouent sous le regard de leurs parents. Sami et son épouse observent leurs deux garçons et leur fille. Ils ont 2, 3 et 5 ans. Avec quelques biscuits comme seule nourriture, la famille originaire d’Afghanistan est démunie. Elle s’apprête à passer une quatrième nuit dehors.

« Ce sera soit le parc, soit un banc, soit un arrêt de tram ou de train pour s’abriter un peu et se reposer », nous confie le père de famille qui a fui le régime des Talibans.

« Que faire ? Il n’y a rien à faire. On n’a pas d’argent pour prendre un hôtel. Je n’ai même pas d’argent pour acheter des couches ni de quoi donner à manger à mes enfants. Je n’ai rien. Tout ce que j’avais, je l’ai dépensé pour payer les passeurs« , déplore-t-il.

Cette famille afghane avec 3 enfants a déjà dormi plusieurs nuits dans un parc bruxellois. © RTBF

Sentiment d’insécurité

Aux conditions de vie précaires s’ajoute un sentiment d’insécurité pour lui et surtout pour ses trois enfants : « On a peur. L’endroit fait peur, c’est dangereux. Et puis, nous-mêmes, on ne connaît rien ici, on ne sait pas comment faire les choses.« 

Cette famille afghane est arrivée illégalement à Bruxelles il y a 15 jours, en provenance de Grèce. Sa demande d’asile en Belgique est en cours et sera examinée début décembre. Mais, en attendant, Fedasil a refusé de les héberger et de leur donner accès à l’un de ses centres.

« Ils ont dit : ‘Nous, dans le système, on voit que vous avez obtenu le droit d’asile dans un autre pays européen. Alors il n’y a aucune suite qui a été donnée à notre dossier' » raconte Sami.

La famille a en effet obtenu l’asile en Grèce, mais sans recevoir d’aide effective. Face à la misère, elle a décidé de tenter sa chance en Belgique.

« On avait entendu que ce pays-ci était plus humain. Et qu’il aidait davantage les enfants, qu’il soutenait les familles, qu’il prenait en compte les problèmes familiaux. Qu’il mettait les petits en crèche et les plus grands à l’école pour qu’ils apprennent quelque chose » ajoute cet ancien fermier afghan.

Des centres d’accueil surchargés

Plusieurs dizaines d’autres familles se retrouvent dans la même situation.

Lundi, le Samusocial a été contraint de refuser l’accueil à près de 100 personnes venues en famille, soit 25 familles au total.  

« Les centres sont complètement saturés. On doit refuser des femmes et des enfants qui espéraient trouver une place au niveau du Samsocial« , déclare Sébastien Roy, Directeur général du Samusocial. « Cela amène à faire des choix qui sont extrêmement compliqués pour les équipes. Elles sont obligées de mettre dehors d’autres familles, considérées comme moins vulnérables.« 

L’ONG Vluchtelingenwerk Vlaanderen tire le même constat et voit affluer de nombreuses familles à ses permanences d’aide juridique.

Plus d’hébergement, d’aide médicale non urgente ou d’accès à la scolarité

Ces familles subissent les conséquences du changement récent de législation. Le gouvernement fédéral mène depuis son installation une nouvelle politique d’asile et de migration, plus stricte, avec une série de mesures de durcissement.

« La situation résulte de la volonté du gouvernement de Bart De Wever de mettre fin à ce qu’il appelle le shopping en matière d’asile. Si quelqu’un a obtenu un statut de réfugié dans un pays membre de l’Union européenne, il ne peut plus venir en Belgique, introduire une nouvelle demande et bénéficier de l’aide matérielle dès le premier jour de l’introduction de la demande« , explique Jean-François Gérard, avocat au barreau de Bruxelles et coordinateur du Refugee Legal Helpdesk, qui vient en aide aux demandeurs d’asile.

Cette aide matérielle est normalement octroyée, sur base du droit européen, aux demandeurs d’asile dès le jour de l’introduction de leur demande. « Elle recouvre d’abord le logement, avec de la nourriture« , poursuit Me Gérard. « Le point le plus important est de ne pas être à la rue. Elle donne aussi un support social et juridique, l’aide médicale non urgente et l’accès à la scolarité pour les enfants. » Cette aide, et l’hébergement qui l’accompagne, est donc désormais refusée à ces familles.

La Ministre de l’Asile et de la Migration, la N-VA Anneleen Van Bossuyt, justifie cette mesure : « Toute personne déjà protégée dans un autre État membre doit y rester. Ces règles ont trop souvent été ignorées, ce qui fait que la Belgique accueille de manière disproportionnée des personnes qui devraient en réalité se trouver dans un autre État membre, en partie en raison de notre système social favorable. »

Selon son cabinet, l’année dernière, sur près de 40.000 demandes d’asiles enregistrées en Belgique, 15.000 émanaient de personnes dans ce cas de figure.

Une protection internationale pas toujours effective

Pourtant, beaucoup remettent en cause l’argumentaire du gouvernement fédéral. À commencer par la famille afghane que nous avons rencontrée : « En Grèce, nous n’avions aucune perspective d’avenir. Aucune aide.« 

En Grèce, nous n’avions aucune perspective d’avenir. Aucune aide.

Des décisions de juridictions belges le reconnaissent aussi. La protection théorique offerte par certains Etats membres de l’Union européenne, notamment la Grèce, n’est pas toujours effective. « Il faut vérifier si ce titre n’est pas juste un papier un peu vide de sens« , souligne Me Marie Dupont, la Batonnière de l’Ordre francophone du barreau de Bruxelles. « Il faut vérifier au cas par cas s’il y a derrière le droit, un droit à l’habitation, un droit à la scolarité, un droit aux soins de santé. Ce n’est pas toujours le cas. »

Le barreau de Bruxelles demande à la Ministre de revoir sa politique : « Personne ne mérite cela »

Marie Dupont, la Batonnière du barreau de Bruxelles. © RTBF

Ce lundi, la représentante des avocats francophones bruxellois a donc écrit à Anneleen Van Bossuyt pour lui rappeler de « tenir compte des droits humains » et de l’intérêt de l’enfant dans sa politique migratoire.

Dans le courrier, Marie Dupont demande « de bien vouloir donner de nouvelles instructions à Fedasil afin que les familles avec enfants mineurs soient toutes hébergées au sein du réseau Fedasil dès ce lundi. Ces familles et leurs enfants ne méritent pas de se voir infliger des nuits d’errance dans les rues et parcs de Bruxelles sans que leur situation particulièrement vulnérable n’ait été prise en compte. Personne ne mérite cela.« 

Contactée, la Ministre de l’Asile et de la Migration a refusé les demandes d’interview de la RTBF.

Par communiqué, elle indique souhaiter éviter que des « familles vulnérables avec des enfants, se retrouvent à la rue » et ajoute que « des années de politique trop laxiste ont rendu la situation intenable« .

Selon elle, cela justifie la prise de mesures plus strictes. « Le ‘shopping d’asile’ doit cesser, car il mine le soutien à l’ensemble du système. Les nouvelles mesures de crise permettront de mieux protéger le réseau d’accueil pour ceux qui y ont droit selon les règles.« 

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