Bruxelles, victime collatérale de la réforme flamande de l’enseignement pour adultes

180 euros, soit 1,50€/heure. C’était le tarif pour un module de langues au sein des Centres d’enseignement pour adultes (CVO). Dès cette rentrée, il faudra débourser 480 euros pour la même formation (4 €/heure). Une hausse brutale, qui frappe particulièrement les cours qualifiés de « loisirs » : cuisine, photographie, mais aussi… le français, l’anglais ou l’allemand.

À l’inverse, les formations vers des « métiers en pénurie » (soins de santé, électromécanique, techniques industrielles) et les cours de néerlandais voient leurs tarifs baisser. L’objectif affiché de la ministre flamande de l’Enseignement Zuhal Demir (N-VA) : économiser 33 millions d’euros par an et concentrer l’offre de fomations pour adultes sur le marché de l’emploi.

Des inscriptions en chute libre à Bruxelles

Bruxelles est directement concernée par cette réforme puisque la capitale accueille différents centres d’enseignement pour adultes néerlandophones (CVO). À l’occasion de la rentrée, différents médias flamands rapportent que ces établissements enregistrent une chute spectaculaire des inscriptions.

Selon De Standaard, au CVO Semper (présent à Jette, Ixelles, Strombeek, Meise ou Vilvorde), les cours de langues accusent un recul d’au moins 30%. « L’an dernier, 2689 personnes y suivaient des cours de français. Pour l’instant, elles ne sont plus que 1780 cette année« , explique Ria Cauchie, la directrice de l’établissement au quotidien flamand. L’anglais a par ailleurs perdu près de la moitié de ses étudiants : 681 en 2024 contre 346 à la rentrée 2025.

La mesure d’économie de la ministre N-VA provoque également une baisse inédite du nombre d’inscriptions au CVO Bruxelles. Les formations de français et d’anglais, qui ont débuté ce lundi, ont vu leur nombre d’élèves chuter de 842 à 10, peut-on lire dans le média bruxellois Bruzz.

On sort des missions du service public.

Cette réforme interpelle Tom Coppens, 42 ans, travailleur social francophone à Saint-Gilles qui suivait des cours d’allemand au CVO Semper : « On sort des missions du service public. C’est le principe même de la promotion sociale qui est mis à mal. La hausse des prix remet en cause la mixité des publics et le fait de hiérarchiser les formations soulève de sérieuses inquiétudes.« 

Pour la ministre N-VA Demir, il est néanmoins logique que le contribuable ne paie pas les hobbies d’autrui. « 480 euros, ce n’est qu’une fraction du coût réel« , déclarait elle cet été dans la presse flamande, ajoutant que « ceux qui veulent tricoter pour rompre l’isolement peuvent aussi rejoindre le tissu associatif« .

Cette année, pour changer, Tom Coppens a décidé de s’inscrire aux cours d’allemand à Strombeek-Bever. Deuxième inscrit de sa classe, il se demande si son cours sera maintenu : « On nous a dit qu’il fallait au minimum 7 participants pour que le cours s’organise. Le début étant prévu le 18 septembre, l’école se demande si le cours aura bel et bien lieu…« 

Autour de lui, d’autres étudiants abandonnent en raison de la hausse des prix : « Deux collègues de classe m’ont dit qu’ils arrêtaient : ils devaient choisir entre payer les études de leurs enfants, rembourser leur prêt hypothécaire, ou continuer leurs cours.« 

Des filières en voie d’extinction

Les directions de CVO tirent aussi la sonnette d’alarme. À Bruxelles comme en Flandre, des formations sont menacées. « Si le nombre d’inscrits chute trop, organiser une classe devient intenable« , indique Eddy Hancké, directeur du centre GO ! CVO d’Anvers auprès du Standaard.

Selon lui, c’est l’existence même de certaines filières qui est compromise. Les enseignants spécialisés, par exemple les natifs en italien ou en allemand, risquent aussi de perdre leur emploi.

On a fermé du jour au lendemain la section d’anglais.

Valeria Becerra, professeur de français langue étrangère au CVO Lethas à Ganshoren, confirme : « Ici, on a fermé du jour au lendemain la section d’anglais. » Cette romaniste de formation a par ailleurs dû cesser de donner cours de français et enseigne dorénavant le néerlandais : « Pour respecter la loi, il fallait me proposer un emploi. Je me retrouve à donner des cours de néerlandais. ‘C’est ça où vous démissionnez’, m’avait-t-on averti à 10 jours de la fin de l’année.« 

Les apprenants paient les pots cassés

Si ces changements de tarifs ont un impact sur les corps des enseignants, « c’est surtout catastrophique pour notre public, souvent précarisé« , avertit Valeria Becerra. « Ça a décapité le système. En 2-3 ans, ils apprenaient l’anglais, le néerlandais ou le français, ce qui leur permettait d’accéder plus facilement au marché du travail. C’était un win-win au niveau social. Maintenant, ils n’ont nulle part où aller. Dans mes classes, j’ai des étudiants qui ont été forcés d’arrêter les cours de français pour suivre le néerlandais. Il y a une détresse psychologique.« 

J’ai des étudiants qui ont été forcés d’arrêter les cours de français pour suivre le néerlandais.

« À maintes reprises, nous avons entendu des candidats dire qu’ils ne pouvaient tout simplement pas se le permettre« , explique à Bruzz, Birgit Steurs, directrice adjointe en charge des langues au sein du CVO Brussel.

De nombreux étudiants du CVO sont sans emploi ou bénéficient du soutien du CPAS, poursuit-elle : « Les expatriés ne viennent pas ici, ils trouvent facilement leur chemin dans le secteur privé. Ce n’est pas un public de loisirs : nos étudiants ont besoin de cette formation pour pouvoir travailler. Quand on regarde le nombre d’offres d’emploi où la connaissance d’au moins deux langues est exigée, c’est révoltant que cela ne soit plus abordable à Bruxelles.« 

Une rentrée sous tension

Toutes les formations ne sont pas concernées par la hausse des prix : les cours de néerlandais ou les formations pour les métiers en pénurie sont désormais moins onéreux. Les centres d’éducation de base Ligo, également présents à Bruxelles, ne subissent pas les conséquences de la réforme, assure Wilbert Van Cromvoirt, porte-parole du centre : « Chez nous, les étudiants ne paient pas de frais d’inscription. C’est pourquoi les récentes économies dans l’enseignement pour adultes n’ont pour l’instant aucun impact sur nous ni sur le nombre d’inscriptions.« 

Néanmoins, ce centre fait plutôt figure d’exception dans le secteur. Avec plus de 281.000 adultes inscrits en Flandre l’an dernier, l’enseignement pour adultes représentait une pièce maîtresse de la formation continue. Il faudra encore attendre quelques semaines pour connaître avec exactitude le nombre de personnes qui franchiront encore la porte des CVO à Bruxelles et ailleurs après cette rentrée pas comme les autres…

[Article réalisé en collaboration avec DaarDaar, le site qui propose le meilleur de l’actualité flamande en français].

Bruxelles, victime collatérale de la réforme flamande de l’enseignement pour adultes (02/09/25)

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